Des conditions du travail créatif
Episode 02. La motivation, l'assaisonnement indispensable dans l'entreprise
The labor of love aspect is important. The most successful scientists often are not the most talented. But they are the ones who are impelled by curiosity. They’ve got to know what the answer is.
Schawlow, 1982, p. 42
Comme un plat sans assaisonnement, un concept créé sans motivation perd son essence même. Il peut exister – le problème est résolu – mais il n’a pas de saveur. La motivation joue un rôle clé dans la production créative de part son impact sur l’efficacité du processus.
Dans l’épisode précédent, nous parlions de Paul qui avait détecté qu’il fallait motiver les équipes pour qu’ils produisent. Pour cela, il avait mis en place un challenge entre trois équipes, leur a promis une récompense et une marque de reconnaissance auprès de toute l’entreprise. Il a également instauré une deadline pour rendre le projet.
Ces leviers de motivation mis en place par Paul sont principalement des facteurs extérieurs aux participants des équipes. Il présuppose qu’ils seront motivés à résoudre le problème car ils souhaitent gagner, recevoir une récompense ou une marque de reconnaissance, car ils sont contraints. De plus, il met en place ces leviers de manière indifférente sur tout le processus de créativité. Non seulement ces leviers ne vont pas fonctionner comme il le souhaite mais, mis en place de cette façon, ils risquent d’annihiler le potentiel créatif des équipes.
Comment fonctionne la motivation?
Votre motivation à réaliser une tâche est la combinaison de votre choix à faire cette tâche, votre envie à y mettre l’énergie nécessaire et votre entrain à continuer l’effort pour y parvenir. Deux types de motivations se distinguent : la motivation intrinsèque, qui provient de l’intérêt que vous portez à cette tâche, et la motivation extrinsèque, qui provient de facteurs motivants extérieurs (prime, récompenses, gagner une compétition, recevoir un feedback ou une évaluation…), exactement ce sur quoi Paul insiste.
La motivation intrinsèque propice à la créativité
La motivation intrinsèque est l’amour du travail en lui-même. Vous réalisez cette tâche parce qu’elle vous intéresse, elle a du sens pour vous, vous en tirez une satisfaction directe. Ce type de motivation peut vous pousser à vous dépasser sans récompenses apparentes à la clef.
La motivation intrinsèque est propice à la créativité. Une personne motivée intrinsèquement fournira un effort plus important. Il y a plusieurs types de motivation intrinsèque : l’enjeu, l’intérêt, l’apprentissage, le sens, le but et la créativité.
Prenez par exemple, la création des supermarchés coopératifs tel que Demain, le 1e supermarché coopératif et participatif lyonnais. Les fondateurs du projet sont tous bénévoles. Le projet a été créé grâce à l’implication et la volonté de bénévoles depuis plus de 3 ans qui se sont réunis, ont travaillé, débattu, persévéré face aux nombreuses difficultés qui allaient au-delà de leurs domaines d’expertise. Ils ont collecté des informations, suivi des alternatives, en ont créé des nouvelles… pour ouvrir un supermarché coopératif et participatif en parallèle de leur vie professionnelle et personnelle. Comment ? Grâce à une motivation intrinsèque forte et assumée. Chaque membre revendique ses convictions et s’y rattache consciemment ou non, lors des moments qui demandent de l’énergie. Pour certains ce sera de participer à un projet collectif ambitieux, pour d’autres se sera de comprendre les fonctionnements et dysfonctionnements de systèmes existants ou de participer à la création de nouvelles propositions écologiquement et socialement responsables, ou encore leur motivation sera de voir exister ce type d’organisation près de chez eux. Chacun a ses motivations intrinsèques qui leur sont propres. Ce type de motivation est puissante et ne peut être néfaste à l’engagement, la persévérance et la créativité.
La motivation intrinsèque est plus ou moins utile en fonction des étapes du processus mais elle n’est jamais contre-productive. Vous ne pouvez pas trop la stimuler.
Elle est particulièrement indispensable dans les étapes de problématisation et de génération d’idées. C’est ce moteur qui vous permettra d’activer la flexibilité nécessaire, les combinaisons, la recherche d’alternatives indispensables à un résultat véritablement créatif.
La motivation intrinsèque est un facteur que vous pouvez influencer chez les salariés. C’est hélas celle qui est en général mise de côté.
La motivation extrinsèque, à connaître, doser et limiter
Ce type de motivation est celle à laquelle Paul fait appel de manière explicite. C’est la motivation à faire quelque chose pour avoir quelque chose d’autre. C’est la motivation à résoudre un problème donné, par exemple, parce que vous allez avoir une prime ou une reconnaissance particulière si vous y parvenez. C’est ce qui vous pousse à réaliser des tâches qui nous pas de sens pour vous mais qui vous permettront d’avoir une promotion.
La motivation extrinsèque n’est pas propice à la créativité. Elle peut même lui être néfaste. A travers cette source de motivation, les individus vont se conformer aux demandes d’autres personnes et ne pas chercher à explorer d’autres alternatives. Ils vont se positionner, sans même s’en rendre compte, dans un processus de pensée rigide qui ne cherche pas les combinaisons et associations nouvelles. Cette manière de penser sera très efficace dans le sens où ils vont trouver une solution… mais une solution qui ne sera en rien créative.
On distingue deux types de motivations extrinsèques qui n’ont cependant pas le même effet sur la production créative :
- Celles qui procurent des informations à la personne et lui permettent de mieux effectuer sa tâche (établir des objectifs, donner du feedback constructif, proposer du soutien…)
- Les facteurs qui accroissent le contrôle sur une personne (prime, récompenses, deadline, compétitions, …)
Dans la phase de définition du problème et de génération d’idées, la motivation extrinsèque qui repose sur des facteurs qui accroissent le contrôle est en général néfaste à la créativité. Elle peut même annihiler les effets positifs d’une éventuelle motivation intrinsèque préexistante en désengageant la personne de la tâche.
Avoir recours à des facteurs de motivations extrinsèques peut servir dans d’autres étapes du processus créatif à savoir l’étape de collecte d’information ou d’évaluation/appropriation de l’idée. Elle peut aider à se concentrer et à donner de l’énergie car il s’agit de réaliser des tâches qui ne demandent pas d’aller chercher des chemins variés mais de persévérer dans un chemin connu.
Nous constatons une fois de plus, qu’il ne faut pas mélanger les étapes. Installer des facteurs de motivations extrinsèques de bout en bout du processus est contre-productif. Il faut adapter le système d’incitations proposé aux différentes phases du processus.
Alors on arrête les récompenses?
Quand un manager promet une récompense liée à la performance, les individus vont mettre en place les stratégies les plus efficaces qu’ils connaissent pour gagner. Ils ne vont alors pas facilement aller explorer et sortir de leur habitudes et schémas. Ils restent sur des stratégies éprouvées, efficaces… connues. Être créatif demande de la flexibilité, d’ouvrir des champs de possibles. Les récompenses liées à la performance découragent cette créativité.
Par contre, si la récompense promise est liée à la performance créative en elle-même, les résultats seront différents. Cette injonction à l’originalité va pousser les individus à sortir de leurs stratégies et schémas et de fait la production sera plus créative. Malheureusement, le fait que l’objectif soit la récompense va pousser chacun à être suffisamment créatif pour atteindre l’objectif. De ce fait, en promettant une récompense liée à la performance créative, le manager ne peut s’attendre qu’à des idées modérément originales.
Si vous souhaitez des idées en rupture, des idées vraiment originales, alors il faut oublier les récompenses, non pas parce qu’elles n’incitent pas mais parce qu’elles annihilent cette originalité. Les récompenses renvoient à un objectif de performance.
Attention, le type de motivation dépend également de la manière d’être et penser de chaque individu. Nous pouvons être motivés intrinsèquement par le résultat final de la résolution de problème ou bien extrinsèquement, tout dépend comment nous appréhendons le problème. Si nous avons envie de vivre l’expérience de résoudre un problème complexe alors la solution finale est une motivation intrinsèque pour nous. Par contre, si la motivation à trouver la solution est notre intérêt dans le prix / reconnaissance qui nous sera accordée alors notre motivation est extrinsèque.
Selon les professeurs en psychologie, Edward L. Deci et Richard Ryan, les types de motivation se différencient au regard du niveau d’autodétermination qui les accompagne. La motivation intrinsèque correspond à un degré élevé d’autodétermination, car elle fait appel à des comportements émis librement et par plaisir. En revanche, la motivation extrinsèque correspond (au départ du moins) à un niveau très faible d’autodétermination puisque ce sont des facteurs externes qui dirigent son comportement. Ils distinguent la motivation « autonome » de la motivation « contrôlée ». Concrètement, nous retrouvons dans la motivation autonome, la motivation intrinsèque ainsi que certaines motivations extrinsèques lorsqu’elles ont été intégrées par l’individu comme étant utile, alignée avec leurs valeurs et nourrissants leurs besoins. Toute la question est de savoir comment faciliter l’intégration de ces motivations extrinsèques pour qu’elles puissent devenir des facteurs puissants et propice à la créativité. Nous approfondirons ces points dans un prochain épisode.
Dans le tout prochain épisode de cette mini- série, vous trouverez des premières idées que Paul aurait pu mettre en place pour activer la motivation au bon moment du processus et d’une manière efficace. Vous trouverez également, comment cela peut se traduire sur un temps d’atelier collaboratif et comment le facilitateur peut être amené à s’adapter.
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A très bientôt !
Jeanne Bernard, facilitateur, coach et fondateur de Katsi.
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Quelques références bibliographiques qui ont aidé à l'écriture de cet article
- Handbook of Research on Creativity and Leadership, Chapter: 6. Intrinsic motivation and creativity: Opening up a black box – Logan M. Steele, Tristan McIntosh, and Cory Higgs: , Editors: Michael D. Mumford, Sven Hemlin, pp.100-130 (2017)
- The motivation for creativity in organizations, T.M. Amabile, Harvard Business School. – January 23, 1996 – 9-396-240
- Extrinsic rewards and intrinsic motivation in education: Reconsidered once again – Deci, E.L., Koestner, R., & Ryan, R.M. (2001). Review of Educational Research, 71(1), 1–27.
- The Progress Principle: Using Small Wins to Ignite Joy, Engagement, and Creativity at Work – 19 juillet 2011, de Teresa M. Amabile, Steven Kramer
- The Work Preference Inventory: Assessing Intrinsic and Extrinsic Motivational Orientations. – Amabile, T. M., K. G. Hill, B. A. Hennessey, and E. M. Tighe Journal of Personality and Social Psychology 66, no. 5 (May 1994): 950–967.
- Facilitating Internalization: The Self‐Determination Theory Perspective – Edward L. Deci Haleh Eghrari Brian C. Patrick Dean R. Leone – March 1994 – Journal of Personality
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