Des conditions du travail créatif

Episode 03.

Des modalités et exemples de leviers de motivation à mettre en place.

« Préface confinement. »
Cet article a été écrit il y a quelques semaines alors que les interactions sociales et l’environnement de travail avaient une autre image que celle d’aujourd’hui. En le relisant, je crois que, même si certaines idées ne sont pas directement applicables ce mois-ci, elles continuent à interroger notre manière de percevoir la place de la motivation individuelle et collective dans nos réalisations. En étant seul, à distance, en temps partiel ou dans un rythme tout simplement nouveau, nos leviers de motivations sont à connaître plus que jamais. Et, même si ce temps de confinement aura un impact  inconnu sur nos modes de travail et de penser, les mécaniques motivationnelles et leurs manières d’impacter la créativité et la performance des entreprises ne changeront pas elles. Cela fait partie de la base d’ingrédients à (re)mixer pour se (re)inventer. Bonne lecture. 

Vous vous souvenez de Paul qui essaie de motiver ses équipes à produire des idées originales et qui répondent à une problématique complexe de l’entreprise? Dans les épisodes précédents, vous avez pu voir comment la motivation fonctionne et pourquoi les différentes modalités mises en place par Paul – que certains d’entres nous utilisent également – fonctionnent mal, ou pire, détériorent la créativité. 

Demander à une équipe d’être créative demande de mettre en place les bonnes conditions de processus, d’environnement et d’interactions sociales. La question de la motivation individuelle a une place prépondérante dans ce dispositif.. Paul doit trouver les bonnes conditions pour que chaque membre soit motivé intrinsèquement. Il peut nourrir la motivation intrinsèque des membres de ses équipes en agissant directement dessus ou en ayant recours à des leviers extérieurs qui auront un effet bénéfique sur le moteur interne. Comme nous l’avons vu dans l’épisode 02, Paul doit donc oublier les leviers habituels de productivité et performance qui détériorent la créativité et se concentrer sur des leviers comme l’apprentissage ou le développement individuel qui sont de forts facteurs de motivations intrinsèques. Paul peut donc tout à fait nourrir la motivation intrinsèque de chacun en proposant des leviers extérieurs orientés vers leur besoin d’apprentissage ou de développement individuel.

Utiliser les leviers d'apprentissage et de développement individuel

Voici quelques exemples de dispositif qui peuvent être mis en place en parallèle d’un processus créatif ou au sein même d’un processus. Ces idées de dispositif nourrissent le besoin d’apprentissage ou de développement individuel de chacun. 

  • Proposer du temps non-productif pour permettre le développement de ses compétences et connaissances et au-delà de notre mission.

En entreprise, une formation est souvent validée si elle est en lien direct avec un gain de performance du salarié. Ouvrons la porte à des formations qui pourraient nourrir le salarié au-delà de sa mission première. Aude, chef de projet d’une PME industrielle en France, s’est formée à la permaculture. Les liens qu’elle a pu réaliser avec son travail sont nombreux. La permaculture utilise d’autres paradigmes, d’autres modèles. Cette formation lui a permis de considérer son management d’équipe et la résolution de problème avec de nouvelles clefs. 

Le coût peut être important pour l’entreprise me direz-vous. C’est notamment le cas si nous passons uniquement par des formations au format classique. Il existe de nombreux autres formats, notamment à distance (MOOC – formation remote..)  qui peuvent être imaginés en mettant en place des temps dédiés dans la semaine à l’auto-formation, en autonomie. 

Cette exploration et ce développement de nouvelles compétences et connaissances permettent également de nourrir la curiosité, facteur également clé de la résolution de problèmes complexes.

  • Encourager la mise en action des nouvelles compétences ou connaissances acquises avec tout le risque que cela implique (dans la non-productivité ou l’échec notamment)

Il ne suffit pas d’acquérir de nouvelles connaissances mais il est nécessaire de pouvoir les mettre en pratique. Combien de salariés ont suivi des formations de « réunions efficaces », ou de facilitation mais n’ont pas mis en pratique car ils n’ont pas de réunions internes où ils peuvent le faire ? Il est par exemple possible d’imaginer que la réunion hebdomadaire d’équipe soit une réunion où l’animation est tournante et où chacun peut expérimenter des méthodes ou outils. Cela ne prolongera pas la réunion, engagera plus chacun dans l’ordre du jour et permettra aux nouvelles connaissances de se transformer en compétences.. Cela permettra aussi aux participants de découvrir ces manières de faire. 

Au sein d’un challenge comme celui de Paul, pourquoi pas ne pas demander aux équipes d’explorer leurs compétences et connaissances dans d’autres domaines pour clarifier la problématique. Par exemple, vous pouvez leur demander de transposer la problématique dans un champ qu’ils connaissent et pratiquent en dehors de l’entreprise: « comment cette problématique se traduirait dans le jardinage, le yoga, le monde associatif? »… en transposant dans un autre champ une problématique, nous pouvons la comprendre sous de nouveaux angles et découvrir une nouvelle systémique du problème qui aidera sa résolution. 

  • Soutenir l’apprentissage (et potentiellement la réflexivité) en proposant des groupes de pairs dédiés.

Au sein d’un groupe de pairs, les individus sont à parité. Il ne s’agit pas de mentoring. L’idée est de permettre des échanges bienveillants et un retour éclairé sur des situations vécues comme compliquées par l’autre. Celui, ou ceux, qui écoutent et proposent un retour, sont aussi nourris par l’échange en aidant la résolution de problèmes de l’autre. Les apprentissages sont partagés pour tous. 

Dans le contexte d’un dispositif comme celui de Paul, un groupe de pairs permettrait un échange sur l’avancement – la méthode employée pour résoudre le problème – comment s’y prennent les équipes – ou sur les idées elles-mêmes. Il existe beaucoup de modalités. Si cela vous intéresse, n’hésitez pas à m’envoyer un mail ou poster un commentaire pour plus de détails et idées de modalités. 

  • Encourager les expérimentations des solutions et concepts imaginés. 

Imaginer des idées lorsqu’on ne sait pas ce qu’elles vont devenir n’est bien entendu pas motivant pour la plupart d’entre nous. Si les idées concernent des process ou services qui pourraient être déployés en interne, il est facile – avec une communication adaptée et coordonnée – de tester leurs mises en place. Tester des solutions industrielles peut être plus compliqué et demande particulièrement une préparation et coordination de plusieurs services en amont. Je pense par exemple à un projet auquel j’ai eu le plaisir de contribuer comme chef de projet il y a plus d’une dizaine d’année au sein de la société Voliris. Il s’agit de créer un hybride entre un avion et un dirigeable utilisant l’hydrogène pour la portance et la poussée. La réglementation autour de l’utilisation de l’hydrogène en France rendait impossible l’expérimentation de certaines solutions imaginées par l’équipe. Au-delà de la problématique fondamentale de ne pas pouvoir tester et donc démontrer ou apprendre de nos idées, le travail de résolution de problèmes sur cette question d’hydrogène devenait abstrait pour l’équipe. 

Dans le contexte d’un dispositif comme celui de Paul, il peut s’agir tout simplement de partager quand, comment, et avec quels moyens les idées pourront être testées. Transmettre ces informations dès le début du processus permet alors de favoriser indirectement la motivation intrinsèque et donc la créativité des équipes. 

  • Développer une culture où l’échec permet les apprentissages et montrer l’exemple à tous les niveaux de l’entreprise. Quand il y a échec, partager les apprentissages en toute honnêteté et simplicité. 
La pression que pourrait avoir Paul de ses supérieurs si son challenge ne produit pas d’idées innovantes et actionnables, est un message direct aux équipes du challenge que l’échec n’est pas valorisé. Sans souhaiter l’échec bien sûr, ses supérieurs pourraient inciter Paul à mettre en place un dispositif de retour d’expériences pour apprendre du dispositif qu’il propose quelque soit les idées. 

Agir directement sur la motivation intrinsèque dans la conception de dispositifs, challenges, hackathon...

Pour agir directement sur la motivation intrinsèque (et non à travers la mise en place de facteurs extérieurs qui auraient un effet indirect sur la motivation intrinsèque), d’autres leviers sont possibles. Il est important de les anticiper avant le lancement du dispositif d’innovation, du hackathon, challenge… Ces leviers ne sont pas toujours possibles à mettre en place mais la question mérite d’être posée à chaque fois. En voici deux qui ont comme point commun la liberté et la confiance associée. 

  • Laisser les équipes choisir leur problématique avec la plus grande liberté.
    Cela peut être imaginé aussi en posant un cadre. Il y a différents degrés de liberté entre « proposez la problématique de votre choix dans le champ que vous souhaitez (RH, technique, etc…) » et « voici la problématique à traiter et sa définition que nous vous demandons de respecter ».
  • Donner une liberté de méthode pour travailler à cette tâche.
    Cela est d’autant plus envisageable que ces personnes auraient accès (MOOC, livres, formations. expériences…) à différentes méthodes.
 

Il n'y a pas de recette universelle.

Il n’y a cependant pas de recettes miracles et encore moins universelles. Les chercheurs ont en effet démontré que les traits de personnalité des individus avaient un impact sur le type de motivation prédominant de chacun. Cela veut dire que non seulement tout le monde ne réagira pas aux mêmes leviers de motivation mais aussi que certains peuvent être productif pour un groupe et improductif pour d’autres.

Par exemple, si les individus sont facilement créatifs, alors il faudrait leur proposer un faible niveau de contrôle et un environnement plus complexe ce qui aura tendance à nourrir leur motivation intrinsèque et à leur permettre de révéler leur créativité.

A l’inverse, des individus qui sont plus difficilement créatifs vont exprimer un mal être – et donc avoir moins de résultat créatif – si le manager laisse beaucoup de liberté tout en maintenant les objectifs liés à la performance. Il faut alors que le manager différencie et clarifie pour ces personnes, à chaque stade, quelle est la priorité : créativité ou performance.

Pour aider l’appropriation et l’utilisation de ses découvertes, Teresa Amabile (que nous avons présenté dans l’épisode 1), propose des outils qui permettent notamment de mesurer si un individu est plutôt facilement motivé intrinsèquement ou extrinsèquement. Il s’agit du Work Preference Inventory (WPI).

En tant que facilitateur, dans le contexte d'un atelier collaboratif, comment pouvons-nous faire ?

Il n’est pas rare dans un atelier de voir un sous-groupe se perdre, constater que la mayonnaise ne prend pas et qu’ils ne sont pas engagés. Le rôle du facilitateur est alors de réagir. Il peut essayer différentes stratégies pour le relancer. La question de la motivation des participants se posent la plupart du temps. Pourquoi sont-ils là ? Sont-ils volontaires ? Ont-il été obligés ou fortement incités à venir ? Leur a-t-on promis une décharge de temps sur un projet en échange ? de valider des heures de formation nécessaires à leur évaluation annuelle ?… Si tel est le cas, le facilitateur a intérêt à s’en rendre compte rapidement pour être en mesure de se poser les bonnes questions pour la suite et adapter son design d’atelier en fonction.

Lorsque nous constatons des facteurs de motivations extrinsèques si forts qu’ils sont dévastateurs pour le processus créatif, il est nécessaire d’aller chercher d’autres leviers… intrinsèques cette fois-ci et faire preuve d’imagination. Il s’agit de remobiliser les équipes afin qu’elles y trouvent tout simplement un intérêt individuel.

Voici quelques exemples de modalités que j’ai déjà mis en place et qui ont fonctionné lors d’un atelier. Bien entendu, il n’y a pas de recettes universelles ni miracles. Il s’agit tout d’abord d’écouter les participants et écouter leurs besoins au-delà de la problématique. La réponse sera différente et variée dans chaque groupe. Il faut alors être en mesure de proposer des idées dont ils ont envie de se saisir individuellement ou collectivement. Il ne s’agit pas de forcer la main.

  • Proposer une « séquence méta ». L’idée du « méta » est de se positionner en dehors de ce que l’on est en train de réaliser, regarder la méthode employée et oublier le fond quelques instants. La plupart du temps il est inutile et contre-productif d’expliciter aux participants la méthodologie employée; il faut qu’ils se concentrent sur le fond et se laissent porter. Dans certains cas cependant il peut être nécessaire de proposer un pas de recul et d’expliciter pourquoi (l’intention) et comment (la modalité) nous proposons de travailler. Expliciter l’intention d’une séquence et la positionner dans un cadre plus large (comment elle nous permet d’atteindre notre objectif d’atelier) peut permettre de remobiliser les participants. Lorsque la démobilisation provient d’un manque de motivation intrinsèque, la discussion « méta » peut alors se porter également sur ce qu’ils sont en train de vivre. Je pense, par exemple, à un atelier où l’intention et la modalité étaient comprises et partagées par les participants mais en échangeant avec eux sur leurs ressentis de « non-motivation » à continuer « même si c’est ce qu’il faut faire pour avancer sur ce problème », il est apparu qu’ils avaient peur de ne pas être en mesure de capitaliser la méthodologie vécue – ce qui n’étaient pas l’objectif principal de l’atelier. Tous les ateliers amènent de nouvelles manières de travailler aux participants. Ici, les participants ressentaient tellement ce besoin que cela les bloquaient pour avancer sur leur objectif premier. C’est seulement pendant cette séquence « méta » qu’ils en ont pris conscience… et nous aussi. Le problème de motivation n’était ni le sujet de l’atelier, ni l’objectif ou les modalités… mais le besoin de capitaliser la méthode. Nous avons pu finir l’atelier, atteindre l’objectif et avons inclus une séquence finale de débrief et de transmission sur la méthodologie.
  • Prendre le temps de comprendre dans un sous-groupe « pourquoi ils sont là, dans l’atelier ». En leur posant quelques questions du type « à quoi verrez vous que la journée (d’atelier) est réussie ? »  « qu’est ce qui ferait que la journée soit un échec ? » « qu’est ce qui vous ferait revenir à une autre journée comme celle-ci ? » « qu’est ce qui vous intéresse aujourd’hui ? ». Ce type d’échanges se produit efficacement plutôt dans les petits groupes. La clef de succès de ce type de question réside principalement dans la posture du facilitateur: une posture à parité, bienveillante, sans jugement et en soutien. 
  • Itérer le design de l’atelier en intégrant les motivations qui vous ont été partagées suite aux échanges avec les participants. Je repense notamment à deux ateliers très différents qui comptaient 90 participants d’un côté et 40 de l’autre environ. Dans ses deux ateliers, j’ai dû changé une partie du déroulé car, en l’état, une partie non-négligeable des participants ne s’investissaient pas. Dans un cas, c’est un livrable complémentaire qui a été ajouté. Ce livrable intégrait une solution construite sur des hypothèses techniques de départ que les sponsors (le groupe client de préparation) avaient rejetées. Pour aboutir à ces deux types de livrables, le design de l’atelier a dû être totalement revu… en accord avec les sponsors bien sûr. Les participants ont tous été investis, motivés et les solutions proposées approuvées. Dans le 2e atelier, qui était un atelier d’accompagnement au changement, la problématique venait d’un nouvel élément de contexte apparu le matin même. Les participants – et les sponsors – ont appris au démarrage de l’atelier, une mesure de l’entreprise (autour du télétravail) qui était sans rapport avec notre atelier mais qui a infusé dans les esprits pendant quelques heures… pour finalement émerger comme un facteur fortement démobilisant. Nous avons alors changé le déroulé pour intégrer cette nouvelle problématique et lever les freins à notre résolution de problèmes. 

Encore une fois, la clef est l’écoute et l’adaptation: laisser une place aux motivations (ou frein) individuelles pour comprendre et faciliter la dynamique globale. 

Pour limiter ce type de freins en atelier, la phase de préparation de l’atelier est primordiale même si elle ne répond pas toujours aux aléas du jour j ou aux surprises non identifiées par les sponsors. Nous pouvons par exemple identifieles leviers de motivation déjà mis en place par les managers, interroger le choix des participants en fonction de la problématique (domaine d’expertise), de leurs capacités ou connaissances créatives et de leurs motivations. 

Il est également important de partager de manière transparente l’objectif de l’atelier, le niveau d’originalité recherchée, qui et sur quels critères va décider de la mise en place – ou non – des concepts qui ont émergé, quelles sont les étapes qui vont suivre l’atelier et, qui va, ou peut, participer. Au-delà de l’importance pour la conception de l’atelier, la clarification et le partage de ces points participeront à activer la motivation intrinsèque des participants.

Vous avez certainement déjà vécu des situations similaires, en tant que salarié, manager ou facilitateur. Que manquait-il selon vous ? Qu’avez-vous mis en place pour aider ?
Et vous, individuellement, connaissez vous ce qui vous motive intrinsèquement ? Réalisez vous des tâches sans motivation apparente ?

Je serai heureuse de lire vos histoires, vos témoignages et retours. Vous pouvez les partager via les commentaires ci-dessous ou envoyer un mail à jeanne.bernard[at]katsi.fr.. Vous pouvez également partager sur twitter et LinkedIn cet article et vous abonner à la page Katsi pour ne pas rater les prochains articles.

Le prochain épisode de cette mini-série proposera de voir la motivation au-delà de la créativité mais de la considérer également comme la clef de voûte de la performance globale de l’entreprise.

A très bientôt !

Jeanne Bernard, facilitatrice, coach et fondatrice de Katsi.

Cet article est mise à disposition par Katsi selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Des références bibliographiques ?

Cet article est plus issu de mon expérience et moins de la bibliographie disponible 🙂

Une fois n’est pas coutume… pas de bilbliographie cette fois-ci mais je vous invite à retrouver de la lecture plus générale ici  et aussi à partager vos propres expériences qui enrichiront cette publication. Merci!

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