Pourquoi choisir de parler du conformisme?

Tout simplement parce que comprendre comment fonctionne le conformisme permet d’appréhender certaines dynamiques de groupe, de détecter et comprendre pourquoi il surgit lors d’un atelier et donc d’inventer des modalités qui permettront à un groupe d’atteindre plus facilement son objectif.

Le conformisme fait partie des dangers dans un processus créatif. Il est donc important de comprendre comment il fonctionne afin de mettre en place, lors d’un atelier collaboratif, ou même d’une simple réunion, les conditions adaptées à des échanges fructueux.

Lorsque nous parlons de conformisme, nous pouvons parler de beaucoup de choses. J’ai choisi ici de revenir aux définitions et aux études théoriques sur le sujet dont je vous propose ici une synthèse. 

L’individualisme, un trait de personnalité à développer pour être créatif

La pensée créative a pour objectif la production d’une œuvre originale, c’est-à-dire nouvelle dans son contexte, et adaptée. Un individu va avoir plus ou moins de facilités à produire cette œuvre. Tout dépend de ses manières de penser (capacités cognitives) et de ses manières d’être (capacités conatives). Aujourd’hui six traits de personnalités ont été identifiés comme favorisant le recours à la pensée créative. Nous y trouvons la persévérance, l’ouverture à de nouvelles expériences, la prise de risque, le psychotisme, la tolérance à l’ambiguïté, et enfin l’individualisme.

L’individualisme est ce qui fait qu’une personne va laisser prioritairement la place à son intuition, ses connaissances et ses points de vue. Ce concept d’individualisme a été étudié par nombre de chercheurs sous différents angles et différentes époques et notamment en psychologie sociale où les études vont porter sur l’influence de la présence d’autrui sur les pensées, les sentiments et les comportements d’un individu. Ceci nous intéresse tout particulièrement dans le contexte d’un moment collaboratif.

Cette influence a été étudiée, par exemple, par Stanley Milgram lorsqu’il a étudié la capacité d’obéissance des individus. Je vous recommande le film The Experimenter (2015) qui relate cette expérience controversée mais dont l’impact et les questions posées apparaissent comme fondamentales aujourd’hui que ce soit dans nos sociétés ou dans notre quotidien professionnel. Si vous préférez vous plonger dans un roman, Amélie Nothomb reprend à travers son livre Acide Sulfurique, des schémas sur l’obéissance tout à fait saisissants.

Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui est l’angle qu’a étudié Salomon Asch dans les années 50 : Le conformisme. Il est aujourd’hui la référence pour toutes les études sur ce sujet.

Permettre le conformisme, ou comment rendre vos moments collectifs inutiles

Avant de lire la suite, je vous invite à voir une vidéo de l’expérience de Asch :

Dans cette expérience, les « sujets » sont invités à l’origine pour un test de vision. Ils doivent dire à quelle ligne du tableau de droite la ligne du tableau de gauche est-elle égale.

Les sujets sont mis dans un certain nombre de contextes différents au sein d’un groupe composé exclusivement d’acteurs, complices de l’expérience.

Il montre qu’un individu aura plus tendance à se conformer au comportement d’un groupe (avis, pensée, …) plutôt qu’à défendre ce qu’il croit être vrai. Et il explique pourquoi.

Dans son expérience, le sujet va se conformer à l’avis du groupe (« la ligne 1 est la même que celle dans le tableau gauche ») alors qu’il voit que c’est faux.

Moscovici (1980) montre d’ailleurs de son côté que des individus admettront publiquement le point de vue majoritaire tout en refoulant le leur quand ils sont motivés par le besoin de ne pas apparaître comme différent ou risquer une possible sanction (exclusion ?) de la majorité.

Imaginez ce mécanisme en place dans un atelier où l’objectif est de produire un concept nouveau ou encore la nouvelle stratégie de l’entreprise. Que ce soit dans la phase de définition (notre contexte ? nos opportunités ? nos parties prenantes ?…) ou dans la phase d’idéation, un individu qui se conformerait au groupe n’apporterait donc pas sa pierre à l’édifice. Imaginez la phase de convergence où il faut choisir et modeler la solution à mettre en place. Personne ne voit de risque technique sauf un individu qui ne s’exprimera pas car l’environnement de la réunion ne lui permet pas de sortir du conformisme…

Impossible ? Peu probable ? Pas chez nous ? 

Changer de comportement pour se mettre en adéquation avec celui des autres

Un individu se « conforme » lorsqu’il change de comportement pour le mettre en adéquation avec le comportement d’un groupe majoritaire. Nous parlons de conformisme lorsqu’il n’y pas de volonté explicite du groupe d’influencer, lorsqu’il n’y a pas de rapport hiérarchique et lorsque la pression se fait à l’intérieur du groupe. Dans le cas contraire, le changement de comportement peut exister mais n’est pas expliqué de la même façon. Par exemple on va parler d’obéissance lorsqu’il s’agit de se soumettre aux ordres directs d’une autorité… (cf. Milgram)

Deux formes d’influences sociales expliquent le conformisme :

  • L’influence informationnelle
  • L’influence normative

Concrètement, lorsqu’un individu se conforme au groupe c’est parce qu’il souhaite, de manière inconsciente, répondre à deux besoins fondamentaux pour lui :

  • Le besoin de certitude
  • Le besoin d’approbation

Répondre à son besoin d’approbation va permettre à un individu d’appartenir à un groupe aussi petit soit-il. Nous construisons notre personnalité dès l’enfance en répondant plus ou moins à ce besoin. Un enfant va adapter sa conduite en fonction de l’approbation ou la désapprobation de ses parents. Un adulte va continuer à rechercher l’acceptation de soi par les autres.

Répondre à notre besoin de certitude va nous permettre de sortir d’un conflit cognitif que nous aurions avec la pensée du groupe. Nous résolvons un désaccord entre la pensée du groupe et la nôtre qui pourrait être basée sur des faits objectifs en nous conformant à leur avis.

Pour information, Asch et ses successeurs (Latané et Wolf, Conolley, Allen, …) ont fait varier un certain nombre de paramètres comme l’anonymisation de la réponse, la relation entre les participants, la taille du groupe majoritaire, le genre. Je vous invite à lire les publications en pied de page pour approfondir si vous le souhaitez.

Les études sur le conformisme ont été reproduites aussi récemment et dans différentes cultures. Les résultats diffèrent légèrement. 

Bien entendu, ceci est une synthèse qui pourrait apparaître simpliste au regard de certains spécialistes. 
J’ai notamment fait le choix de ne pas développer les recherches de Herbert Kelman (1958) qui sont aussi très éclairantes et dont vous trouverez beaucoup d’article en ligne. 

Des pratiques pour contourner ce risque

Je ne peux pas finir cet article sans vous transmettre certaines pratiques simples à mettre en place pour contourner ce risque dans vos moments collectifs :

  1. Demander aux participants de répondre à la question posée par écrit et en silence pour commencer. Cela permettra à chacun de poser et concrétiser son avis, ses idées avant de les partager et surtout d’entendre ceux des autres… Cette modalité évite la convergence naturelle et un effet de fixation.
  2. Commencer par utiliser des images (cf. Trousse Katsi) pour définir une problématique. Par exemple, tour à tour les participants tirent une image au hasard et explicite à tous pourquoi et comment elle représente bien la problématique. Cela ne permet pas de définir la problématique de façon exhaustive mais permet d’ouvrir plusieurs angles et souvent d’exprimer des angles de vue personnels.
  3.   Aider les participants à aller au-delà de leur besoin de certitude en proposant un exercice de connexions forcées. Par exemple, demandez leur de tirer deux cartes (images, graphiques, mots… que vous aurez préparé en avance en rapport plus ou moins avec le sujet) et demandez leur de créer une idée, un concept, un morceau de solution utilisant ces deux supports.

N’hésitez pas à partager vos idées de modalités dans les commentaires ou encore apporter vos sources, vos expériences ou expertises sur ces sujets.

 

A très bientôt !

 

Jeanne Bernard, fondatrice de Katsi

Cet article est mise à disposition par Katsi selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Quelques sources

 
Et aussi nos livres ressources à retrouver dans notre bibliographie.

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