Quand la résolution de problème manque de flexibilité

Nous avons tous été confronté à une situation problématique où nous nous sommes sentis bloqués, empêtrés, que ce soit seul ou en groupe. Vous avez peut-être vécu une conversation où il semble impossible de trouver une solution tant les points de vue de chacun sont différents.  

Et si le point de blocage ne résidait pas tout simplement dans notre rigidité de pensée ? Dans notre manque de flexibilité ?

Chaque atelier collaboratif a un objectif à atteindre. Cet objectif peut être de trouver une nouvelle stratégie qui répond aux enjeux de l’entreprise à 10 ans, de trouver un nouveau concept de produit ou service, de lever un verrou technique, d’accélérer une prise de décision, …

Quelque soit l’objectif à atteindre, la première étape sera toujours de définir la problématique et de travailler collectivement sur des défis partagés de tous. C’est, de mon expérience, l’étape la plus importante et qui peut s’avérer complexe. Pour aboutir à des défis partagés de tous, cela demande que la problématique ait été considérée sous tous les angles incluant ceux que les participants ne voient pas à première vue.

Pour répondre à ces défis (les « comment faire pour » comme on aime les appeler), il peut arriver que le groupe se trouve dans une impasse ou ne parvienne pas à trouver de solution originale (au sens qu’ils auront choisi). Encore une fois, trouver des solutions va demander de voir le défi de différentes manières et potentiellement, d’aller chercher des idées dans d’autres domaines.

Que ce soit pour définir la problématique ou bien pour trouver une réponse au défi, deux questions se posent :

  1. Quelle est notre représentation de la problématique / du défi ?
  2. Quel chemin allons-nous emprunter pour aller jusqu’à la définition du défi / la solution ?

C’est sur ces deux questions (« représentation » et « chemin ») que nous pouvons jouer lorsque nous sommes bloqués dans un processus de résolution de problème et la flexibilité cognitive se trouve être le parfait outil pour jouer !

La flexibilité cognitive, kesako?

Il est difficile de trouver une définition consensuelle à la flexibilité cognitive. J’ai fait le choix de prendre la définition de la flexibilité cognitive comme une composante de la pensée créative puisque nous sommes dans le contexte de la résolution de problèmes. (Guilford, 1950 ; Carlier, 1973, Sternberg et Lubart 1995, Lautrey et lubart 1998 ; Mouchiroud et Lubart, 2001 ; Georgsdottir et Lubart 2003).

Il s’agit d’ailleurs de cette flexibilité qui est testé par Torrance avec 3 autres caractéristiques (la fluidité, l’originalité, l’élaboration) pour évaluer la créativité d’une personne.

La flexibilité cognitive serait la capacité de passer d’une tâche cognitive à une autre, de changer ou de s’adapter face à un environnement contraignant.

Il existe deux types de flexibilité en fonction de l’existence ou non d’une impasse: la flexibilité spontanée et la flexibilité dite réactive.

La flexibilité réactive lorsque nous sommes dans une impasse

Ce type de flexibilité apparaît lorsque la difficulté à résoudre le problème est bien visible car nous sommes dans une impasse. Nous avons une représentation claire du problème mais aucun chemin n’apporte de solution.

Nous allons alors redéfinir le problème pour trouver une solution. Nous changeons notre représentation du problème en changeant de perspective et en apportant de nouveaux insights.

Cela demande de « lâcher » la représentation du problème qui nous semblait « claire » ou même « être la bonne ». Nous nous désengageons de cette représentation pour nous réengager dans une autre.

Cette nouvelle représentation du problème peut nous « débloquer » et nous apporter naturellement la solution.

Ce type de flexibilité peut se mesurer et donc se tester. Voici deux exemples de tests.

Le test de Karl Duncker

En 1945, le psychologue Karl Duncker publie son test qui permet de mesurer la « fixité cognitive », autrement dit, le manque de flexibilité cognitive.

Le test consiste à faire entrer le sujet dans une pièce dans laquelle se trouve une table sur laquelle sont posées une bougie, une pochette d’allumettes et une boîte de punaises (voir schéma). L’expérimentateur demande au sujet de fixer la chandelle au mur sur un tableau de liège sans que la cire tombe sur la table située en dessous.

Essayez de résoudre le problème avant de lire la suite…

Le sujet trouve la solution du problème à partir du moment où il ne considère plus la boîte comme un récipient pour les punaises mais comme un support possible pour la bougie.

Il faut vider la boîte de punaises, fixer la bougie dans (ou sur ?) cette dernière et utiliser des punaises pour fixer la boîte au tableau.

Si la tâche est présentée au sujet avec les punaises empilées sur la table à côté de la boîte plutôt qu’à l’intérieur de cette dernière, à peu près tous les participants trouvent la solution optimale.

La difficulté réside bien dans la capacité du sujet à « lâcher » sa représentation fonctionnelle de la boîte pour une autre.

 

Le test de « wisconsin card sorting »

On présente au sujet quatre cartes qui vont lui servir de stimuli de base. Les cartes diffèrent en fonction des formes qui y sont dessinées, de la couleur et du nombre de celles-ci (voir exemple ci-dessous)

On demande au sujet d’associer une à une les 128 cartes avec l’une des quatre cartes de bases.

C’est l’examinateur qui décide si les cartes doivent être classées par couleur, forme ou quantité mais il ne dit pas explicitement au sujet quelle est la règle de classement des cartes. Le sujet essaie et l’examinateur lui indique seulement si l’association avec la carte de base qu’il réalise est bonne ou mauvaise.

Pendant le test les règles d’association vont changer après un nombre consécutif d’associations correctes. L’examinateur ne le dit pas explicitement au sujet mais lui indique si l’association avec la carte de base qu’il réalise est bonne ou mauvaise.

L’examinateur mesure le temps mis pour comprendre et prendre en compte les nouvelles règles ainsi que le nombre d’erreurs faites avant la compréhension de la nouvelle règle.

Là encore, c’est la capacité à se désengager d’une représentation qui nous semblait être la bonne qui est testé.

Ce test est d’ailleurs utilisé aujourd’hui encore dans le contexte médical pour aider un diagnostic ou suivre l’évolution de certaines capacités cognitives d’un patient.

 

La flexibilité spontanée... le recours aux problèmes analogues

Ce type de flexibilité apparaît lorsque notre problème ressemble de part certains aspects à d’autres problèmes et nous allons alors tester différents chemins pour trouver la solution.

En définissant notre problème, nous constatons que notre problème ressemble par sa configuration, par ses données, par son origine… à d’autres problèmes. Nous procédons alors plus ou moins naturellement par analogie avec ces autres problèmes pour trouver une solution. Nous découvrons des nouveaux « chemins » pour résoudre notre problème mais nous gardons la même représentation de notre problème.

Gustave Eiffel trouva la solution à son problème de structure pour sa fameuse Tour Eiffel en s’inspirant des travaux de l’anatomiste Hermann Von Meyer qui expliqua comment le poids du corps pouvait être supporter par les os des jambes. Il étudia le fonctionnement du squelette humain et remarqua que la tête du fémur avait une structure inhabituelle, ce qui permettait au poids du corps d’être pris en charge de façon légèrement décentrée par les os et les jambes. Lorsque Gustave Eiffel démarra la construction de sa tour en 1887, il imita cette structure osseuse compliquée dans les arcades de sa base.

Nous pouvons prendre aussi l’exemple connu de Louis et Auguste Lumière qui étaient bloqués sur la question de l’avancement du film : « comment faire pour faire avancer la pellicule de manière régulière ? ». C’est Louis Lumière qui trouve la solution en regardant le film comme une pièce de tissu qu’il faut faire avancer de manière régulière sur une machine à coudre. Il constate le mouvement saccadé de l’aiguille qui entre dans le tissu et ressort … tout en faisant avancer le tissu. « A la place du tissu, tu mets une pellicule perforée des deux côtés ; ça s’arrête, ça repart, ça s’arrête, ça repart, le cylindre est poussé par saccades… aussi vite que tu veux » . Quelques mois plus tard, le cinématographe était né. D’une cadence de seize images par seconde, il utilisait une bande de celluloïd perforée de 35 mm.

Dans ces deux exemples, les représentations du problème restent inchangées (un problème de poids à répartir et un problème d’objet fin à faire avancer de manière saccadée mais régulière).

Et dans votre quotidien?

A quels moments le recours à flexibilité cognitive peut être important ?

Le recours ou non à la flexibilité cognitive a un impact fort dans tous nos moments de vie qu’ils soient collectifs ou individuels, personnels ou professionnels.

  1. Lorsqu’on veut créer, innover,
  2. Pour trouver une solution commune au groupe,
  3. Lorsque l’on souhaite calmer des tensions dans une équipe,
  4. Pour transformer ses échecs en réussite et donc trouver les apprentissages qui nous serons utiles.

Comment favoriser la flexibilité cognitive ?

En collectif, l’objectif peut être de s’assurer que même un groupe d’individus « rigide » puisse être groupe flexible.

Pour arriver à cela, assurez vous que votre groupe ne soit pas constitué uniquement d’experts du problème mais aussi de personnes apportant des expertises différentes ; appelez un physicien en aéronautique autour de votre problème de textile technique de haute montagne par exemple ou une personne complètement en dehors de votre problème sans expertise particulière mais qui apportera un angle différent.

Vous pouvez aussi avoir recours à une panoplie d’outils et techniques qui permettront, en groupe, de vous décentrer et donc de changer plus facilement de représentation du problème ou d’accéder à des analogies de manière plus fluide. Un de ces outils est le SPIDER (cf schéma ci-contre).

Vous retrouverez d’autres outils dans les KatsiCards fournies dans la Trousse Katsi et spécialement dans les cartes dites « de divergence ».

Individuellement vous pouvez:

  • Vous entraîner tout simplement à aller chercher des associations de mots puis d’idées variées. Le « Ping Pong de mots » est une bonne approche : choisissez un mot (par exemple « arbre ») et rebondissez dessus en disant le mot auquel il vous fait penser (par exemple « vert ») puis rebondissez sur ce dernier mot… Vous aurez ainsi une suite comme  « arbre, vert, rouge, vin, bouteille, eau, nature, … ».
    Vous remarquez que « arbre » et « vert » ne sont pas dans le même registre (la même catégorie). En revanche « vert » et « rouge » le sont….
    L’objectif est de faire, de la manière la plus fluide possible, et le plus longtemps possible, des associations dans des registres différents.
    Une autre manière de faire est de n’associer que sur un seul mot en changeant un maximum de registre. Par exemple à partir de « arbre »
    « Hêtre, nature, refuge, réseau, papier, saison, témoin, … »
  • Vous former à différents types de pensée et notamment la pensée associative et métaphorique… Un prochain article approfondira tout particulièrement ces modes de penser.
 

N’hésitez pas à partager vos idées de modalités dans les commentaires ou encore apporter vos sources, vos expériences ou expertises sur ces sujets.

A très bientôt!
 
Jeanne Bernard, Fondatrice de Katsi

Cet article est mise à disposition par Katsi selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Quelques sources

  • Clément, E. (2008). Flexibilité, changement de point de vue et découverte de solution. In G. Chasseigne (Ed.), Cognition, Santé et Vie Quotidienne, vol 1. pp. 21-42). Paris: Edition Publibook Université (collection Psychologie Cognitive)
  • Eslinger, P.J.& Grattan, L.M. (1993). Frontal lobe and frontal striatal substrates for different forms of human cognitive flexibility. Neuropsychologia, 31, 17-28.
  • Clément, E. (2006) Approche de la flexibilité cognitive dans la problématique de la résolution de problème. In: L’année psychologique. vol. 106, n°3. pp. 415-434; https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2006_num_106_3_30923
  • Les Savanturiers, Processus cognitifs complexes – Les fonctions exécutives. Cité des sciences et de l’industrie – Département Education – mars 2015

  • Asta S. Georgsdottir, Isaac Getz, How Flexibility Facilitates Innovation and ways to Manage it in Organizations, Creativity and Innovation Management, Vol 13, Nb 3, Sept 2004, pp. 166-175

  • Site interne Hogrefe, Editeur de tests psychologiques et d’outils d’évaluation,  » La flexibilité – Les fonctions exécutives #2″ 
    https://www.hogrefe.fr/la-flexibilite-les-fonctions-executives-2/

Et aussi nos livres ressources à retrouver dans notre bibliographie. 

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